Document 12 : Georges Clemenceau répond à Jules Ferry lors d'un débat à la Chambre des députés, le 30 juillet 1885.
« Messieurs, à Tunis, au Tonkin, dans l'Annam, au Congo, à Obock (près de Djibouti), à Madagascar, partout... et ailleurs, nous avons fait, nous faisons et nous ferons des expéditions coloniales ; nous avons dépensé beaucoup d'argent et nous en dépenserons plus encore ; nous avons fait verser beaucoup de sang français et nous en ferons verser encore. On vient de nous dire pourquoi. Il était temps ! […]
Au point de vue économique, la question est très simple. [...] Lors donc que, pour vous créer des débouchés, vous allez guerroyer au bout du monde ; lorsque vous dépensez des centaines de millions ; lorsque vous faites tuer des milliers de Français pour ce résultat, vous allez directement contre votre but : autant d'hommes tués, autant de millions dépensés, autant de charges nouvelles pour le travail, autant de débouchés qui se ferment. […]
Races supérieures ! Races inférieures ! C’est bientôt dit. Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. [...] Regardez l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! [...] Combien de crimes atroces, effroyables ont été commis au nom de la justice et de la civilisation. Je ne dis rien des vices que l’Européen apporte avec lui : de l’alcool, de l’opium qu’il répand, qu’il impose s’il lui plaît. Et c’est un pareil système que vous essayez de justifier en France dans la patrie des droits de l’homme ! […]
Mais nous dirons, nous, que lorsqu'une nation a éprouvé de graves, très graves revers en Europe, lorsque sa frontière a été entamée, il convient peut-être, avant de la lancer dans des conquêtes lointaines, fussent-elles utiles – et j'ai démontré le contraire – de bien s'assurer qu'on a le pied solide chez soi et que le sol national ne tremble pas ».